Stéphane Rolet descend du trône


Stéphane Rolet descend du trône


Stéphane Rolet est maître de conférences au département de littérature française. Il publiait il y a peu un ouvrage portant sur la série télévisée Game of Thrones et les ouvrages du même nom, fruit de son travail de recherche. Succès public et critique quasi unanime, la série se démarque par la noirceur de son récit et une réelle place accordée aux personnages féminins, qui ne se privent pas de combattre au prix de leur vie pour le pouvoir. Garanti sans spoilers (autres que ceux que vous connaissez déjà).

Lorsque nous le retrouvons à l’extérieur de la devanture du Dernier bar avant la fin du monde, Stéphane Rolet a peut-être la tête encore farcie de mauvais souvenirs. Ce n’est pas la première fois qu’il donne une interview dans ce bar branché, tendance geek, à deux pas de la rue de Rivoli : aux manettes, à l’occasion, le pendant féminin de PPDA, pour le compte d’une émission culturelle diffusée sur France Télévisions. Ce n’est pas tant l’historique présentatrice du journal de 20 heures qui dérange Stéphane Rolet ce jour-là, mais plutôt le siège qu’on lui propose d’investir. En l’occurrence, une réplique du trône de fer, du nom de la série télévisée éponyme au gigantesque succès planétaire, adaptée de la saga littéraire du même nom inventée par George R. R. Martin. Il est vrai que, dans la pièce surchauffée à laquelle nous accédons par un passage labyrinthique, l’assise rehaussée de pics a quelque chose de (très) kitsch. « Franchement ridicule », nous avait prévenus Stéphane Rolet. Heureusement, loin de nous l’idée de le mettre dans une fâcheuse posture. Ce serait plutôt l’inverse qui nous tient réunis ici, équipés de micros, caméras et lumière artificielle dans le sous-sol. Car, en un ouvrage dense et minutieusement documenté, ce spécialiste de la littérature emblématique – « un genre littéraire qui est apparu au milieu du XVIe siècle, résultat de la combinaison entre un court poème, une image et un titre » – s’est positionné comme un des fins connaisseurs de la série, qu’il a analysée sous toutes ses coutures, en la comparant notamment aux ouvrages, et en pointant entre autres ses familiarités esthétiques avec la période de la Renaissance. « Il est aisé de trouver dans l’art germanique des situations visuelles et plastiques nous rappelant les Stark, de même qu’on peut identifier l’œuvre de Dürer derrière certaines images, ou des scènes pouvant évoquer la Renaissance italienne, souligne Stéphane Rolet. Les showrunners, au même titre que les différents acteurs de la série, connaissent ou appartiennent au monde britannique. Ils se sont servis de la manière dont la peinture préraphaélite, et la peinture victorienne en général, a pu regarder la Renaissance. Ils ont donc utilisé ce « filtre » pour donner l’impression que leur travail pouvait comporter des échos de la Renaissance, mais que ces échos ne renvoyaient pas forcément à un univers historique précis. » Stéphane Rolet perçoit également, derrière le rideau, les influences littéraires. D’abord Shakespeare et Thomas B. Costain, puis Maurice Druon et ses Rois maudits, et enfin des spécialistes du genre, Jack Vance et Robin Hobb. Toutes références que George R. R. Martin revendique lui-même. 

« A la fin, c’est HBO et ses créateurs qui gagnent »


« Je me suis toujours intéressé à l’histoire de l’art et aux arts visuels en général. Durant ma jeunesse, se rappelle l’homme aux cheveux en brosse, j’ai vu éclore ce qu’on considère aujourd’hui comme le dernier âge d’or des séries télévisées, avec Twin Peaks, X-Files, Les Sopranos, Six Feet Under… Ayant suivi quasiment historiquement la progression de ce mouvement, j’y étais déjà sensibilisé. Je me suis rapidement rendu compte que ce domaine en pleine expansion était une extraordinaire source d’inventivité. » Stéphane Rolet n’a découvert les ouvrages qu’après le visionnage des deux premières saisons, qui le convainquent d’aller voir sur papier la matrice d’un univers riche et poussé, dans lequel ambitions, désirs et travers sont poussés jusqu’au bout, quitte à ce que certains personnages disparaissent, en dépit de leur côte d’amour auprès du public. Qui a dit qu’il fallait lui donner ce qu’il voulait ? Dans GOT, c’est bien connu, mieux vaut ne pas trop s’attacher. Les admirateurs de Ned Stark en ont été pour leurs frais, et la liste s’est allongée depuis. Ces prises de position, peu courantes pour une production mainstream, ne font pas reculer le public, bien au contraire. Chaque nouvelle saison est un événement savamment orchestré par les services de communication de la chaîne américaine. « Quand HBO a mesuré l’ampleur du succès que prenait la série, tout a été fait pour que le phénomène médiatique s’amplifie, explique Stéphane Rolet. La sortie des dernières saisons a été organisée simultanément dans le monde entier, les communicants ont fait en sorte d’entretenir un climat d’attente des téléspectateurs tout en contrôlant les informations qu’elle divulguait – au point tout de même de faire passer pour de grands mystères des événements très banals. » Les producteurs de la série mutliplient les fausses pistes pour alimenter les conversations, les fans trépignent. À la fin, c’est HBO et ses créateurs qui gagnent. Chaque épisode est visionné par des millions de personnes. 

Le pouvoir sous tous les angles


GOT est un monde foisonnant, impitoyable. Version médiévale et violente de notre vingt-et-unième siècle ? Stéphane Rolet le passe au crible, pan par pan, comme on décortiquerait l’organisation d’une nation : titres, religion, et, surtout, organisation du pouvoir. « La série propose une représentation du pouvoir extrêmement noire, développe le maître de conférences. On pourrait le résumer à gros traits à un mélange de Machiavel, Hobbes et Nietzsche. Le pouvoir comporte plusieurs étapes : il faut l’acquérir, puis le garder et enfin le transmettre. Dans cet univers, ces trois étapes reviennent constamment. Mais il faut également ajouter ces deux adages, qui se révèlent extrêmement éclairants quant à l’esprit de la série : “L’homme est un loup pour l’homme”, et “Ce qui ne me tue pas me rend plus fort”. »
Contrairement à l’œuvre de Tolkien, dans laquelle leur présence est moins marquante, Stéphane Rolet met en lumière le rôle des femmes dans la saga, un point assez rare dans une série « mainstream » pour être souligné : « Nous retrouvons les femmes dans toutes les strates de la société, même s’il est vrai que la série s’intéresse davantage aux couches les plus aisées. Il suffit de regarder leur sort à l’issue de la dernière saison pour s’en persuader. Si des femmes ont perdu le pouvoir – Olenna, Maergerys – c’est qu’elles le possédaient et n’étaient pas n’importe qui. D’ailleurs Cerseï, Daenerys et Sansa dirigent encore au stade actuel de la série TV. Et, si les femmes sont mises sur un pied d’égalité avec les hommes, elles le sont sur toute la ligne : elles paient aussi violemment que les hommes le tribut qui est celui de la conquête du pouvoir. » Martin, déjà adulé par une grande communauté de connaisseurs avant que les images ne bougent, a désormais une immense notoriété. Et, c’est assez rare pour être souligné, une série de fantasy est unanimement saluée, additionnant succès public et critique. Les références sont fournies, littéraires, et historiques. Le budget important alloué à la réalisation de chaque épisode permet de rendre le grandiose visible, et non plus seulement imaginable. Soit à peu près tous les ingrédients pour devenir une référence. 
Stéphane Rolet en connaît un rayon, sur les séries, et pas uniquement sur Game of Thrones. L’entretien touchant à sa fin, il interroge chacun et fait part de ses récentes trouvailles. The Affair, Westworld, et puis des créations belges et quelques scandinaves dont on a honteusement oublié le nom. Il cite même une française, Un village français en l’occurrence. De la littérature emblématique au binge watching, la frontière n’a jamais été aussi poreuse… Stéphane Rolet n’est pas rassasié : la série continuant, son travail de recherche suit son cours. 
 
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Article réalisé par le service communication.

Portrait de Stéphane Rolet, enseignant à l’université Paris 8 spécialisé dans les séries et plus particulièrement, Game of Thrones.

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