Séminaire - Pour une poétique du savoir et de l’archive


Mis à jour le 8 février 2021

« Ce terme est d’abord un refus de certaines notions. J’ai parlé de poétique, non de méthodologie ou d’épistémologie. C’est que ces termes, pour moi, opèrent une dénégation à l’égard des formes réelles de la constitution d’un savoir. Le choix du terme de poétique a plusieurs raisons :
  • L’histoire produit du sens à l’aide de procédures empruntées à la langue naturelle et aux usages communs de cette langue. Epistémologie ou méthodologie insistent sur les procédures de vérification des faits, de mise des chiffres en série. Elles constituent la certitude du savoir avant qu’il ne s’expose dans l’écriture et dans sa solitude. L’historien est alors celui qui « fait » de l’histoire, qui travaille sur le « chantier » de la communauté savante. Savoir, communauté et métier se garantissent mutuellement. Mais, une fois qu’on a utilisé les bonnes méthodes de vérification, fait les bons calculs, il faut bien passer par des arrangements de la langue commune pour dire que les données des statistiques produisent ce sens et pas un autre. Et il faut déjà le faire pour définir l’objet de la recherche. L’écriture de l’histoire n’exprime pas les résultats de la science, elle fait partie de leur production. Et écrire est toujours un acte de solitude qu’aucune communauté, aucun métier, aucun savoir ne garantit.
  • Le terme de poétique cherche aussi à cerner un rapport historique entre la constitution de deux configurations conceptuelles. L’époque de la naissance des sciences sociales est celle où le concept de littérature s’établit comme tel, sur la ruine des anciens arts poétiques. La notion de littérature fait appel à une poétique qui n’est plus celle des genres poétiques, avec les objets et les modes de traitement qui leur conviennent, mais qui renvoie au tout de la langue et à sa capacité de constituer n’importe quoi en œuvre d’art (le « livre sur rien » de Flaubert). La poétique du savoir veut cerner ce rapport entre l’aberration littéraire - le fait que la littérature est un art de la langue qui n’est plus normé par aucune règle et engage une poétique généralisée - et la production du discours des sciences sociales avec ses manières de faire vrai. Ce pouvoir sans normes de la langue est à la fois ce contre quoi s’insurge l’idéal des sciences sociales. Et pourtant elles en ont besoin pour se poser comme de la science et pas de la littérature.
  • Poétique enfin s’oppose à rhétorique. Celle-ci est l’art du discours qui doit produire tel effet spécifique sur tel type d’être parlant en telle circonstance déterminée. J’appelle poétique, à l’inverse, un discours sans position de légitimité et sans destinataire spécifique, qui suppose qu’il n’y a pas seulement un effet à produire mais qui implique un rapport à une vérité et à une vérité qui n’ait pas de langue propre. J’essaie de penser cela : l’histoire, pour avoir un statut de vérité, doit passer par une poétique. Et comme celle-ci n’est pas constituée, le discours historique doit se donner sa propre poétique. » — Extraits de Jacques Rancière, Poétique du savoir, La main de singe n°11-12, 1994.
 
  • Anders Fjeld (LCSP-Paris 7) est MCF de philosophie politique, et chercheur associé au LCSP (Laboratoire du Changement Social et Politique, Paris 7 / Université de Paris). Co-fondateur du centre de recherche sur l’utopie Archipel des devenirs, et membre du comité de rédaction de Palabras al Margen. À la croisée de la philosophie politique et l’économie politique, ses travaux portent sur la subjectivation politique, la démocratie moderne, la tradition utopique, les clivages et continuités entre philosophie et économie et le post-marxisme comme champ intellectuel.
    https://univ-paris7.academia.edu/AndersFjeld
  • Mansur Tayfuri (LLCP-Paris 8 / Centre Sohrawardi) rédige à l’Université Paris 8 une thèse de doctorat de philosophie sur le sujet « États et exceptions ». La thèse s’appuie sur l’étude de l’histoire des minorités kurdes de l’Iran moderne, et était précédée d’un travail sur la mémoire des mouvements Kurdes en Iran pendant la révolution iranienne de 1979. Mobilisant quatre langues, Mansur Tayfuri écrit principalement en kurde et en farsi. On lui doit des récits et des textes littéraires. Il est également traducteur et s’est consacré à la traduction de textes de philosophie contemporaine parmi lesquels Le Maître ignorant, Jacques Rancière (2015), La Vraie vie, Alain Badiou (2018), Pilate et Jésus, Giorgio Agamben (2019).
    https://www.nawext.com/
  • Gulistan Sido (Université du Rojava), après un cursus de littérature française, et de traduction et d’arabisation à l’Université d’Alep, a poursuivit des études à l’Université de la Sorbonne Nouvelle Paris 3 et à l’INALCO. Elle a enseigné l’arabe et le français à partir de 2003 à Alep. Elle a co-fondé l’Institut de Littérature et Langues Kurdes « Viyan Amara » à Afrin. Elle est actuellement Vice-présidente de l’Université du Rojava où elle est aussi Responsable du Comité Académique et membre du Comité des relations internationales. Domaines de recherche : Théories de l’oralité, Littératures orales kurdes, Révolution sociale et luttes des femmes.
    https://www.rojavauni.com/

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Adresse de la visioconférence : https://us02web.zoom.us/j/84684246407

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