Melissa Frédéric, « facilitatrice » et étudiante du Diplôme Universitaire Violences faites aux femmes


Melissa Frédéric est « facilitatrice ». Un métier créé sur mesure pour répondre à une nécessité : accompagner et accueillir la parole des femmes, et notamment celles qui ont subi des violences. Une carrière engagée qu’elle a initiée après un parcours atypique, dont elle a consolidé les fondations en passant le diplôme universitaire (DU) « Violences faites aux femmes » à Paris 8. Elle raconte les étapes de son éveil féministe et de son parcours.
 
Après des études et quelques années à travailler dans la communication, elle quitte sa vie parisienne et son emploi dans une agence de publicité pour aller vivre un an et demi à Melbourne. En Australie, elle s’initie au yoga, découvre le concept de retraites, et s’éveille au féminisme. « C’est un tourbillon de révélations, ces fameuses lunettes féministes qu’on enfile un jour et qu’on ne peut plus enlever ». Elle ressent alors le besoin impérieux de retrouver du sens dans sa vie professionnelle : « j’ai eu envie de faire quelque chose qui contribue au bien-être des femmes, quelque chose qui soit à la fois engagé et à la fois dans le soin. » Elle mûrit ce désir d’engagement et, de retour à Paris, rencontre Tran Bui, sa partenaire, qui enseigne le yoga. Leur projet commun émerge : « Chez soi retraites », des retraites féministes, de trois à sept jours, mêlant la pratique du yoga, la déconnexion numérique, un rapport au temps présent, à travers la méditation pleine conscience, et des groupes de parole. Ce sont ces groupes que Melissa « facilite ». Son métier, c’est donc de poser le cadre dans un espace, définir les règles d’un groupe de parole. Elle favorise le partage d’expérience à la première personne, avec « des règles de bienveillance, de non jugement, de confidentialité. » Respect du temps de parole, cadre conçu pour lisser les rapports de hiérarchie et rendre les échanges les plus fluides et les plus libres possibles, la facilitatrice aide le groupe à mettre en commun ses expériences pour « créer une intelligence collective et faire émerger une solidarité, une sororité ». Elle amène aussi les participantes à se questionner, à s’interroger sur les injonctions qu’elles subissent, sur leur rapport au corps.
 
Ce dernier sujet fait émerger inévitablement la question des violences subies par les participantes. « Je les amène à partager leurs expériences, je pose des questions, j’amène des outils féministes qui amènent une grille de lecture collective à leurs expériences individuelles. Je leur fais prendre conscience que c’est politique de prendre soin de soi, c’est politique de s’aimer, de prendre soin de son corps, d’être douce avec lui. »
 
« Je crois que j’avais une forme de rébellion contre les études. Je n’avais pas appris grand-chose pendant mes cinq années de communication. Je voulais me sentir légitime, sans passer par la légitimité traditionnelle des diplômes. J’ai voulu d’abord faire avant d’avoir un tampon qui me dise que j’avais le droit de faire. » le métier qu’elle s’est imaginé, « facilitatrice féministe », n’existe pas encore sous cette dénomination. Au bout de deux ans à exercer, encadrer des groupes et accueillir des témoignages, Melissa s’inscrit dans ce DU de Paris 8, qui lui avait été recommandé, sur le sujet des violences faites aux femmes. « Je voyais bien que c’était ce qui ressortait le plus dans les retraites, face à des groupes de femmes qui s’autorisent à parler à la première personne de leur parcours, qui se livrent, que le sujet des violences était au cœur de leur expérience. » Au sein du DU, elle travaille sur un mémoire qui lui permet de formaliser son expérience professionnelle, de coucher sur le papier ses constats et d’aller plus loin sur l’aspect théorique : les retraites sont son sujet de mémoire. Le DU lui a apporté beaucoup de connaissances plus spécifiques, notamment autour du psycho-trauma et des conséquences des violences sur l’entourage, les enfants, au sein de la famille. « Les outils que l’on propose sont particulièrement bénéfiques pour lutter contre les conséquences des violences, notamment le rapport au corps et à la méditation, la DU m’a permis de le confirmer auprès de psychiatres. Le fait de se reconnecter à ses sensations quand on a vécu une dissociation, le fait de cultiver l’amour de soi, et se détacher du regard des autres et de venir avec un regard plus intérieur… La dimension individuelle du travail sur soi est amplifiée par le groupe, les effets miroirs et les solidarités qui s’y nouent. Il y a vraiment cet aller-retour entre l’individu et le collectif, que je trouve éminemment politique. » Le travail que Melissa et Tran ont commencé empiriquement, de façon expérimentale, a été validé et confirmé par ce que Melissa a appris au sein du DU, et a trouvé des ramifications politiques, conceptuelles, psychologiques.
 
Les femmes qui viennent suivre ces retraites sont, nous explique Melissa, impliquées profondément, et cela crée des échos bien au-delà du week-end ou de la semaine d’ateliers : amitiés, solidarités qui se nouent, voies professionnelles qui sont bousculées et remises en question, projets de reconversion qui émergent et s’élaborent, parfois entre participantes qui viennent de se rencontrer… « Nous avons vraiment l’ambition que ces espaces bienveillants et de soin, engagés, se multiplient : nous voulons que ça se diffuse. Un cercle de parole, c’est accessible à tous et toutes, avec un minimum d’outils pour le cadrer. » Melissa et Tran diffusent sur le site internet de Chez soi retraites un guide gratuit qui rassemble leurs conseils pour que chacun et chacune puissent créer librement son groupe de parole. Elles ont par ailleurs décidé, depuis février 2022, de former également des personnes à l’accompagnement de groupes de femmes, pour transmettre leurs expériences. « Ce que nous avons créé, il y a une dimension qui nous dépasse, parce que c’est profondément politique, et qu’il se crée quelque chose qui n’est pas de notre fait. Les femmes ont besoin de ces espaces de parole et de sororité, nous avons juste la chance d’avoir créé ces espaces et qu’elles nous fassent confiance pour venir les expérimenter. »
 
En parallèle de son métier, Melissa est aussi intervenante chez Rêv’elles, une association qui accompagne des jeunes filles de quartiers prioritaires pour les encourager à exprimer leur potentiel, à élargir leurs perspectives professionnelles et à se projeter sereinement dans l’avenir. Le parcours de Melissa est inspirant, et prouve que chacune peut faire une différence significative dans le monde, en s’engageant pour faire bouger les lignes, et chacune, posant les jalons d’une transformation sociale à son échelle, prépare le terrain pour les femmes de demain.
Chez Soi - Mournac
Crédit photo : Elsa Girault

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