Pour la beauté des mathématiques


Sihem Mesnager est maîtresse de conférences en mathématiques, co-directrice de l’équipe MTII au Laboratoire Analyse, Géométrie et Applications (LAGA) et co-responsable du Master Mathématiques et Application (parcours Mathématiques pour la protection de l’information). Elle est spécialiste en mathématiques pour la cryptographie symétrique et la théorie des codes, deux disciplines aux contours sibyllins pour le commun des mortels.
 

Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?


J’ai d’abord réalisé, à Paris 6, une thèse en mathématiques qui portait sur l’étude effective des morphismes de schémas affines. Après ma soutenance en 2002, je me suis rendue compte que je souhaitais travailler dans le domaine des nouvelles technologies, et des mathématiques appliquées. Claude Carlet, professeur à Paris 8 (premier spécialiste mondial en fonctions booléennes) m’a convié à participer à son exposé (au séminaire qu’il animait) portant sur les fonctions booléennes. Son exposé était super, il m’avait proposé des problèmes ouverts et j’étais émerveillée par son domaine ! Je ne le remercierai jamais assez ! J’ai donc effectué une conversion de recherche et une conversion thématique d’enseignement. Ma formation était spécifiquement centrée sur les mathématiques, et j’avais un peu peur de l’informatique… Il m’a fallu quatre ans pour obtenir un poste en 2006, mon classement première par la commission de spécialistes sur un poste de maître de conférences m’a permis de rejoindre Paris 8 à cette date. En 2012, j’ai décroché mon habilitation à diriger des recherches. Puis j’ai été nommée prof adjointe à Telecom Paris Tech, une école avec qui j’étais en très bonne relation scientifique. Parallèlement, j’ai co-dirigé (avec C. Carlet) le Master Mathématiques et applications (parcours protection de l’information) pendant 4 ans avant de prendre l’entière responsabilité de 2013 à 2017. Aujourd’hui, je co-dirige le Master avec F. Mokrane. En 2017, on m’a confié la co-direction de l’équipe MTII à Paris 8 au sein du Laboratoire Analyse, Géométrie et Applications (LAGA).

Pourquoi êtes-vous passionnée par les mathématiques ? Qu’est-ce qui vous stimule dans cette discipline ?


Je suis fascinée par la beauté des mathématiques. De plus, contrairement à mon domaine doctoral, dans ma recherche actuelle, nous parvenons, à partir d’objets simples, à des problèmes très complexes. Je trouve cela réjouissant. Par exemple, le jour de ma soutenance de thèse (dans ma recherche passée), quelqu’un m’a demandé de faire un rappel de ce que j’étudiais. Mais je ne pouvais pas, car il m’aurait fallu deux heures ! J’apprécie également l’application concrète de mes travaux de recherche. J’étais récemment à l’étranger, et j’ai été contactée par des services gouvernementaux. Ils souhaitaient comprendre le fonctionnement de certaines fonctions que nous avions développées. Il y a donc un côté « pratique » stimulant. C’est encourageant pour les étudiants.

Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la cryptographie ? et le codage ?


Il s’agit de l’art de transformer les messages (clairs) qui transitent sur un canal non sécurisé afin de les rendre incompréhensibles à quiconque n’en possède pas la clef de déchiffrement. On distingue la cryptographie à clé publique (ou cryptographie asymétrique) et la cryptographie à clefs secrètes (ou cryptographie symétrique). Les codes correcteurs sont des outils qui visent à améliorer la fiabilité des transmissions de messages sur un canal bruité ou celle du stockage d’information (musique, etc.) sur un support tel qu’un CD. La méthode qu’ils utilisent est d’envoyer sur un canal bruité plus de données que d’information à transmettre. Une redondance est introduite. Si cette redondance est structurée de manière exploitable alors il est possible de corriger les erreurs produite par le canal et de retrouver l’intégralité des messages transmis. Le codage s’apparente par certains aspects à la cryptographie puisqu’il s’agit de coder un message qui transitera dans un canal bruité pour corriger les erreurs produite par le canal, quand la cryptographie vise à chiffrer les messages pour les rendre incompréhensibles.

Pouvez-vous nous présenter les spécificités du parcours dont vous êtes responsable ?


Nous avons la chance d’enseigner à des étudiants ayant déjà abordé la cryptographie et la théorie des codes en licence 3 de mathématiques. De plus, les enseignants font de la recherche dans ces domaines, et sont donc à la pointe des savoirs et des avancées. Nous sommes parmi les seuls à être spécialisés en cryptographie symétrique. Les étudiants participent à des travaux d’études toujours directement liés à des préoccupations actuelles, contextualisées et mises en regard de l’historique des résolutions des chercheurs. Je regrette malgré tout qu’en France nous ne développions pas assez les mathématiques appliquées à la cryptographie, contrairement à d’autres pays. Nous accusons un retard considérable dans ce domaine. Je suis pour ma part davantage sollicitée à l’étranger qu’en France. Et ce n’est pas parce que c’est moi, c’est parce qu’on s’intéresse à ce domaine partout ailleurs.

La protection des données personnelles des individus est-elle, à l’heure actuelle, plus indispensable que jamais ?


Absolument. La cryptographie et le codage sont omniprésents dans notre vie, bien souvent sans que nous le sachions. Plus personne ne se rend dans une agence de voyages pour acheter un billet d’avion : tout le monde utilise Internet. Le message – c’est-à-dire les informations bancaires – transite dans un canal non sécurisé et risque d’être intercepté. Si la cryptographie a été au départ beaucoup utilisée pour protéger la confidentialité des informations, elle possède désormais bien d’autres applications. Les étudiants, notamment les étudiants étrangers – nombreux à être accueillis dans ce master – profitent de cette diversification pour accéder à des emplois porteurs, par exemple dans les péages d’accès, les passeports électroniques, cartes ou documents à puces, etc. Comme débouchés, il n’y a donc pas que l’enseignement ou la recherche, ni même l’utilisation militaire.

Quelles sont les qualités dont ont besoin les étudiants pour bien s’intégrer à ce master ?


Il faut bien entendu avoir une base très solide en mathématiques mais il est aussi important que les étudiants aient déjà eu une pratique de la programmation, surtout dans l’optique de réussir leur stage en entreprise en master 2. Cela peut être handicapant de ne pas du tout la maîtriser.

Est-ce que, plus encore que dans d’autres domaines, la cryptographie et la théorie des codes correcteurs nécessitent une adaptation constante à l’évolution des pratiques et technologies ?


Tout à fait, d’autant que la cryptographie a mis du temps avant d’être considérée comme une discipline. Et, dans celle-ci, il y a toujours un compromis. En fonction de ce compromis, la sécurité de l’objet sera plus ou moins importante. La cryptographie a notamment pour but de se protéger contre les attaques. Mais, à l’heure où je vous parle, il est possible qu’une faille soit trouvée dans une primitive cryptographique, et cela nécessitera alors l’étude mathématique de cette primitive. Il y a par conséquent un mouvement perpétuel.
 
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Entretien réalisé par le service communication.

Sihem Mesnager est maîtresse de conférences en mathématiques, co-directrice de l’équipe MTII au Laboratoire Analyse, Géométrie et Applications (LAGA) et co-responsable du Master Mathématiques et Application (parcours Mathématiques pour la protection de l’information). Elle est spécialiste en mathématiques pour la cryptographie symétrique et la théorie des codes, deux disciplines aux contours sibyllins pour le commun des mortels.

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