Témoignage de Mireille Azzoug, pour Bernard Maris


Mis à jour le 13 janvier 2015

Hommage à Bernard Maris, « économiste citoyen » 1 



Né à Toulouse le 23 septembre 1946, Bernard Maris, professeur des universités, économiste,
essayiste et chroniqueur au journal Charlie
Hebdo,
nous a quittés ce mercredi 7 janvier 2015. Il a été froidement exécuté,
avec neuf autres membres de l’équipe de ce journal et deux policiers, par des
tueurs barbares qui s’en sont pris à la liberté de la presse, à la liberté de
penser, aux valeurs fondamentales de la démocratie, de la République et de
l’humanité.
 
 
Notre peine est immense, notre
indignation et notre colère aussi.
 
Bernard Maris était non seulement l’un
de nos collègues, c’était, pour beaucoup d’entre nous, un ami, un économiste
brillant, un enseignant de talent. Un chercheur aussi, doublé d’un essayiste à
la plume élégante, féru de poésie et de littérature - il fut aussi auteur de
romans. Un humaniste érudit qui s’intéressait aussi bien à l’histoire, à la
sociologie et à la psychologie qu’à la psychanalyse ou la rhétorique, disciplines
dont il nourrissait son approche de l’économie.
 
Il se trouva parfaitement dans son élément
lorsqu’il fut nommé, en 1999 (jusqu’à son départ à la retraite en 2012), professeur
à l’Institut d’études européennes de l’Université Paris 8, celui-ci ayant
mis la pluridisciplinarité au centre de ses enseignements et de ses recherches.
Il y dirigea pour un temps le doctorat d’études européennes et le Centre
d’études des mutations en Europe.
 
Bernard Maris séduisait son auditoire
par l’originalité et la hardiesse de sa pensée, rétive à toute orthodoxie, par la
clarté pédagogique de son exposé, qui ne sacrifiait en rien la finesse et la
sophistication de l’analyse. Il enseignait avec brio le fonctionnement des marchés financiers, les
rouages de l’économie financière et boursière, l’économie du développement
durable, l’économie européenne. Il savait mettre au jour la rhétorique de
l’économie et sa fonction de légitimation du discours dominant.

 
A Charlie
Hebdo
, c’était Oncle Bernard, avec ses chroniques à l’humour décapant et
son art de la dérision. Humaniste, libre penseur, anticonformiste, antimonétariste, ennemi de la financiarisation de l’économie, du
productivisme, il s’en prenait aux poncifs du néolibéralisme débités dans les discours prétendument « experts »
des économistes gourous, qu’il tenait en piètre estime.
 
Rebelle aux orthodoxies, il voulait
redonner à l’économie ses lettres de noblesse, celles du politique. Il admirait
Keynes, qu’il convoquait souvent dans ses analyses. Ce qui le séduisait chez celui
qu’il appelait l’économiste citoyen,
c’était d’avoir su remettre l’économie à sa place, qui est d’être un outil au
service de l’humanité. Dans l’ouvrage qu’il lui a consacré, Keynes ou l’économiste citoyen, Bernard
Maris écrit : « Keynes est un
pur économiste. C’est-à-dire qu’il ne peut envisager la réflexion économique
sans l’art, la politique, le bien-être.
[...] On ne peut comprendre l’économiste Keynes, entrer dans une pensée
diverse, riche, contradictoire, mais indiscutablement la plus grande pensée
économique du siècle, en dissociant un seul instant les mots
« économie » et « civilisation ». Voilà pourquoi l’économie
de Keynes est d’une brûlante actualité, bien au-delà des « politiques de
relance », des « baisses du taux d’intérêt », des recettes pour
cuisines de ministères ou des ponts aux ânes
pour étudiant en macroéconomie. Quel économiste aujourd’hui pense à la
Cité ? Aucun.
 » 2
(Ou presque aucun, car quelques-uns sauvent quand même l’honneur). 
 
Directeur adjoint de la rédaction de Charlie Hebdo, collaborateur à
Marianne
, aux Échos, au Nouvel Observateur, au Monde, chroniqueur à France Inter, très
souvent invité sur les plateaux de télévision, il développait partout ses analyses
décapantes et lucides avec un humour facétieux et une bonhomie tranquille et joviale.
Jacques Sapir a pu dire de lui, dans l’hommage qu’il lui rend 3,
« qu’il reste un modèle d’économiste citoyen ».
 
Ce
droit à la critique, ce devoir d’irrespect sans lesquels il n’y a pas de
liberté, lui ont valu la mort, comme à ses confrères de la rédaction de Charlie Hebdo, à une époque où il n’est plus
tolérable de mourir pour des idées.
 
Mais les idées qu’il a semées ne sont pas mortes pour
autant : il nous les lègue en héritage. Et pour que celui-ci perdure, il nous
suffit de lire ou relire ses nombreux ouvrages, ses articles, ses chroniques
dans Charlie Hebdo ou d’écouter les
enregistrements de ses interventions sur la Toile.
 
Nous sommes tous Charlie et nous le resterons !
 
 
Mireille Azzoug
Directrice honoraire de l’Institut
d’études européennes

Maître de conférences hors classe
retraitée

 
 
 

Parcours universitaire et professionnel de Bernard Maris


(établi d’après
son curriculum vitae, complété par les informations publiées sur Internet par
Wikipédia : fr.wikipedia.org/wiki/Bernard_Maris)
 
 
 

Diplômé de Sciences Po Toulouse en 1968

  • Doctorat en
    sciences économiques à l’université Toulouse-I en 1975. Thèse intitulée « La distribution personnelle des revenus : une
    approche théorique dans le cadre de la croissance équilibrée »,
    sous la direction de Jean Vincens.
  • Agrégation
    (science économique générale) en 1994 à l’IEP de Toulouse.
  • Assistant
    (1968), puis maître de conférences (1976), puis professeur (1994) en économie à l’université de Toulouse.
  • Professeur à
    l’Institut d’études européennes, Université Paris 8, de 1999 à 2012.
  • Professeur invité aux universités de
    Madrid, Iowa-City, Lima, Uqam (Montréal), Cambridge (King’s College)

 

Fonctions universitaires

  • Directeur du Centre universitaire de
    Montauban : 1994-1999 et Directeur du DEA « Économie industrielle et
    de l’emploi ».
  • Directeur
    du LEREP (Laboratoire d’études et de recherches en économie de la production)
    de 1994 à 1999, Université de Toulouse 1.
  • Directeur du doctorat « La
    construction européenne. Enjeux géopolitiques, économiques et
    socioculturels », Institut d’études
    européennes, Paris 8, de 1999 à 2006.
  • Directeur du Centre d’études des
    mutations en Europe, Institut d’études européennes, Paris 8, 2000 à 2011.
  • Membre élu du Conseil national des universités
    (CNU) de 1999 à 2002
  • Membre du comité scientifique des revues : Sciences de la Société, Cahiers
    de l’Innovation, Ecorev-Revue critique d’écologie politique

 

Distinctions

  • Le magazine Le Nouvel Économiste lui attribue en 1995 le
    titre de « meilleur économiste de l’année ».
  • Coordinateur du Schéma régional
    d’aménagement du territoire de la région Midi-Pyrénées, 1996-1997.
  • Vice-président
    du Conseil scientifique de l’association ATTAC, 1998-2001.
  • Directeur de la collection « Albin Michel Économie »
    aux Éditions Albin Michel (Paris), 1999.
  • Nommé membre du conseil général de la
    Banque de France en décembre 2011.
  • Président d’honneur de « Je me
    souviens de Ceux de 14 » et de la Société des amis du Mémorial de Verdun.

 

Publications


Outre
de très nombreux articles et chroniques, Bernard Maris est l’auteur de :
 

Économie
  • Éléments de politique économique :
    l’expérience française de 1945 à 1984
    ,
    Privat, 1985. Des économistes au-dessus de tout
    soupçon ou la grande mascarade des prédictions
    , Albin Michel, 1990.
  • Les Sept Péchés capitaux des
    universitaires
    , Albin Michel, 1991.
  • Jacques Delors, artiste et martyr, Albin Michel, 1993.
  • Parlant pognon mon petit. Leçons d’économie
    politique
    , Syros, 1994.
  • Ah Dieu ! que la guerre économique
    est jolie !
    , Albin Michel, 1998,
    coécrit avec Philippe Labarde
  • Keynes ou l’économiste citoyen, Presses de Sciences Po, coll. « La bibliothèque du
    citoyen », 1999 et 2007.
  • Lettre ouverte aux gourous de
    l’économie qui nous prennent pour des imbéciles
    , Albin Michel, 1999, et Seuil, 
    coll. « Points-Économie », 2003.
  • La Bourse ou la vie - La grande
    manipulation des petits actionnaires
    ,
    Albin Michel, 2000, coécrit avec Philippe Labarde
  • Malheur aux vaincus : Ah, si les
    riches pouvaient rester entre riches
    ,
    Albin Michel, 2002, coécrit avec Philippe Labarde
  • Direction de La légitimation du
    discours économique, Sciences de la société, n° 55,
    Presses universitaires du Mirail,
    2002 (Actes du colloque international du même nom organisé par B. Maris
    à l’IEE en 2001).
  • Antimanuel
    d’économie : Tome 1, les fourmis
    ,
    Bréal, 2003
  • Antimanuel
    d’économie : Tome 2, les cigales
    ,
    Bréal, 2006
  • Gouverner par la peur, Fayard, 2007, coécrit avec avec Leyla Dakhli, Roger Sue et
    Georges Vigarello
  • Petits principes de langue de bois
    économique
    , Charlie Hebdo, 2008.
  • Capitalisme et pulsion de mort, Hachette, coll. « Pluriel », 2010, coécrit avec
    Gilles Dostaler
  • Marx, ô Marx, pourquoi m’as-tu
    abandonné ?
    Éditions Les
    Échappés, 2010 et Champs actuel, 2012.
  • Plaidoyer
    (impossible) pour les socialistes
    ,
    Albin Michel, 2012.
  • Journal
    d’un économiste en crise,
    Les Échappés/Charlie Hebdo, 2013 (sélection de textes d’Oncle Bernard (Bernard
    Maris) publiés dans Charlie Hebdo
    depuis 2005).
  • Préface à
    La reprise tranquille, Charlie Hebdo,
    l’Année 2014 en dessins,
    2014

 
 

Essais
  • L’Homme
    dans la guerre. Maurice Genevoix face à Ernst Jünger
    , Grasset, 2013.
  • Houellebecq
    économiste
    , Flammarion, 2014.

 
 

Romans
  • Pertinentes
    Questions morales et sexuelles dans le Dakota du Nord
    , Albin Michel, 1995.
  • L’Enfant
    qui voulait être muet
    , Albin Michel, 2003.
  • Le
    Journal
    , Albin Michel, 2005.

 
 

[un---]
1 - Titre que lui décerne Jacques Sapir dans son hommage, « À
Bernard Maris, homme délicieux » (faisait écho au livre de Bernard Maris, Keynes ou l’économiste citoyen), Le Huffington Post, 07-01-2015 :
www.huffingtonpost.fr/jacques-sapir/bernard-maris-mort_b_6429820.html
 
[deux---]
2 - Keynes
ou l’économiste citoyen,
Presses de Sciences Po, coll. « La
bibliothèque du citoyen », 1999, p. 8-9.
 
[trois---]
3 - Cf. note 1.

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