« Le cinéma est mort, vive Internet ! »


Sur un canapé rouge un peu lynchien, dans une grande pièce sur rue du rez-de-chaussée, un chat se pavane. On regarde depuis l’extérieur à travers la vitre : un canapé rouge, donc, un chat, un bureau avec un ordinateur, une sculpture. Et un escalier intriguant dont les marches descendent sous le niveau de la mer. Nous sommes dans l’atelier d’artiste de Noël Herpe, non loin de l’église Saint-Ambroise, dans le onzième arrondissement de Paris. Noël Herpe, enseignant à Paris 8, reçoit pour parler cinéma, théâtre, littérature, mort du cinéma, et mort de la fiction. Pressentant les prédictions déclinistes de son maître orateur (et historien du cinéma, ancien critique, réalisateur et écrivain), le chat a préféré filer.
 

 


Notre hôte déverrouille la porte et c’est comme si la séance commençait. On ne sait qui de nous deux interroge l’autre. Noël Herpe s’assoit dans le canapé, propose que nous rapprochions une chaise, et nous ne nous sentons plus maîtres du dispositif. C’est un sentiment comme cela qui plane. Dans le deuxième tome de son journal, et avant-dernier ouvrage en date, Objet rejeté par la mer (qui suit Journal en ruines et Mes scènes primitives), Noël Herpe confesse, à propos d’un square vide à partir duquel il scrute de fugaces apparitions : « J’aimerais m’évanouir dans ce décor, n’être qu’une poussière sans pensée ». Les plus belles pages du livre sont dans les riens du quotidien, un couple dans la rue, un visage d’enfant qui ramène violemment l’auteur à son rapport au temps, passé et futur qui forment sa « damnation ». « L’adulte passe son temps à ruminer ou à se projeter. En tant qu’écrivain, j’atteins parfois des sensations qui me permettent de retrouver quelque chose de la plénitude du présent », éclaire Noël Herpe, qui, épuisant des lieux (plus ou moins) déserts, part à la recherche d’une forme de fulgurance du banal. Il guette la rue, ses gens. Y pensant nous nous empêchons de regarder à travers la vitre, qui nous en sépare. Il ne cache rien des sentiments les plus profonds, sa tristesse que son compagnon s’éloigne, l’angoisse que provoque la moindre prise de distance. Troublante mise à nu. Ces écrits n’étaient, au départ, pas destinés à former un livre. Mais, au fur et à mesure, les fragments font sens, sans forcément se lier. La rencontre avec un éditeur a permis d’organiser tout cela. « Un travail de glaneur » qui laisse toute liberté à la plume de revenir où elle le souhaite. Car de mélancolie il est souvent question. L’érudition passéiste qui flotte sur l’ensemble n’est pas sans résonance avec le contemporain : « Je suis certes habité par une culture ancienne. Par le goût du théâtre et de la littérature du dix-neuvième siècle, découverts à l’âge où tout se joue. Mais mon ambition artistique, s’il y en a une, consiste à remettre en mouvement ces pans du passé qui me fascinent. »
 

Fin du roman, Cannes et binge watching


 
Noël Herpe, personnage central du journal de Noël Herpe ? Noël Herpe ne peut-il gloser que sur lui-même ? Une orientation logique quand on estime que la littérature dévoile l’intime et que, dans ses habits du XXIe siècle, elle relève davantage de l’archive et du témoignage que de la fiction. L’artiste aime à provoquer : « Écrire de la fiction aujourd’hui me paraît le plus souvent dénué d’intérêt. Je n’y crois pas une seule seconde. Je ne comprends même pas qu’on puisse, en 2017, éprouver l’envie d’écrire de la fiction. Ce n’est plus (me semble-t-il) la vocation de la littérature. Le roman a eu Balzac, Dostoïevski, Proust, Claude Simon… Que peut-on y ajouter ? » Hors cette vision désenchantée, le salut pourrait passer par le cinéma, épargné aux yeux du cinéaste qu’est aussi Noël Herpe par son jeune âge, et son pouvoir encore intact de raconter l’imaginaire. S’il a débuté dans la critique littéraire, Noël Herpe a poursuivi sa carrière dans la critique de cinéma. Il n’a pas oublié les pics d’adrénaline qui précèdent la remise d’un papier. Le fait de devoir, à chaque article, refaire ses preuves. L’entourage, qui n’a que peu d’égards pour la difficulté de la tâche. Ses marottes de futur écrivain, héraut sans dictaphone, qui se glissent dans les critiques. Mais au bout de dix ans, il a abandonné. Il ne se voyait pas vieillir dans la profession. Il participe pendant un temps, en compagnie de Gilles Jacob puis de Thierry Frémaux, à la sélection des films pour la compétition officielle du Festival de Cannes. Une expérience « passionnante » de binge watching qui permet de « voir tout ce qui se fait sur la planète cinéma pendant six mois », même si on ne sait parfois plus trop comment juger. Sa thèse, menée parallèlement et tardivement malgré la perplexité de ses proches, le familiarise avec le monde universitaire. Antoine de Baecque, avec qui il co-écrira quinze ans plus tard une biographie d’Éric Rohmer, lui confie sa première charge de cours, à Saint-Quentin-en-Yvelines. L’appétit de l’enseignement s’installe. Il se digère mal, tout d’abord. Á Caen, sa singularité lui vaut de solides inimitiés (il raconte ce passage douloureux dans Dissimulons !, aux éditions Plein Jour). Las, le plaisir viendra à Paris 8 : « L’université Paris 8 a cette inestimable spécificité d’encourager son corps enseignant à créer, fût-ce hors les murs. D’ailleurs, je m’épanouis de plus en plus dans l’aspect pratique de l’enseignement, ou bien lorsque mes cours “théoriques” se mêlent d’une dimension pratique : par exemple dans le cadre d’un séminaire sur Éric Rohmer, ou sur le filmage du théâtre… » Le débit de parole est très actuel, les mots pleuvent, parfois la voix de celui qui s’aime acteur s’élève, nuance son énoncé, se réalimente. Les heures passées à accompagner les étudiants ont corné notre homme.
 

Passage à la réalisation


 
Ayant lui-même réalisé trois adaptations de pièces de théâtre, Noël Herpe tient son cap. La Tour de Nesle, « mélodrame flamboyant » d’Alexandre Dumas, est le prochain projet sur la liste. Face au conformisme frileux des commissions cinématographiques, qui ne soutiennent qu’à la marge ses créations et interdisent aux moins de seize ans la plus radicale d’entre elles (C’est l’homme), le nouveau film se fera plus que jamais dans l’économie, avec la petite équipe de fidèles de d’habitude. Un livre (Journal d’un film interdit) raconte les mésaventures de C’est l’homme, moyen métrage qui fut snobé par les festivals car Noël Herpe s’y coltinait des thèmes délicats : le travestissement, l’humiliation… Progressant sur une ligne de crête casse-figure, avec le sordide en guise de ravin, C’est l’homme bouscule, et gagne le sommet grâce à des fulgurances d’humour.
 
Aujourd’hui, finies les longues heures à monter des dossiers, à présenter un scénario qui va doctement du point A au point B, à peaufiner des notes d’intention que Noël Herpe juge absolument contradictoires avec l’idée même de création : « Si le cinéma est mort, comme l’affirme Godard, eh bien, vive Internet ! Un medium dont un Sacha Guitry, par exemple, serait tombé amoureux s’il l’avait eu entre les mains… » Le texte de La Tour de Nesle, redécoupé en neuf chapitres, aura les honneurs d’une web-série financée avec les moyens du bord. Regrettant qu’au générique du moindre court métrage défilent deux cent noms, le réalisateur fait le choix (« presque politique ! ») du modèle le plus en phase avec son goût. Le film déclinera une fantaisie primitiviste à la Méliès. Noël Herpe espère bien entraîner dans l’aventure quelques étudiants de Saint-Denis. 
 
 
Voir C’est l’homme, moyen-métrage de Noël Herpe.
Voir la fiche de Noël Herpe sur le site de son éditeur.
Voir le site du département Cinéma.
Fantasmes et Fantômes, le dernier film de Noël Herpe, en feuilleton sur le site Point Ligne Plan.
 
 
Article réalisé par le service communication.
 
 

Sur un canapé rouge un peu lynchien, dans une grande pièce sur rue du rez-de-chaussée, un chat se pavane. On regarde depuis l’extérieur à travers la vitre : un canapé rouge, donc, un chat, un bureau avec un ordinateur, une sculpture. Et un escalier intriguant dont les marches descendent sous le niveau de la mer. Nous sommes dans l’atelier d’artiste de Noël Herpe, non loin de l’église Saint-Ambroise, dans le onzième arrondissement de Paris. Noël Herpe, enseignant à Paris 8, reçoit pour parler cinéma, théâtre, littérature, mort du cinéma, et mort de la fiction. Pressentant les prédictions déclinistes de son maître orateur (et historien du cinéma, ancien critique, réalisateur et écrivain), le chat a préféré filer.

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