Rencontre avec Nicolas Duvoux, autour de son ouvrage "L’avenir confisqué"


Nicolas Duvoux est professeur de sociologie à Paris 8, chercheur au laboratoire CRESPPA-LabToP, le Laboratoire des Théories du Politique. Ses recherchent gravitent autour de la question des inégalités sociales. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, publiés aux Presses Universitaires de France, parmi lesquels : Les Oubliés du rêve américain. Philanthropie, État et pauvreté urbaine aux États-Unis ; Les inégalités sociales (collection Que Sais-Je), et enfin L’avenir confisqué. Inégalités de temps vécu, classes sociales et patrimoine, sorti en août 2023. C’est notamment pour parler de ce dernier livre que nous avons rencontré Nicolas.
 
L’avenir confisqué se penche sur les différences du rapport au temps en fonction des conditions matérielles dont on dispose. Ce prisme subjectif représente une approche originale de la sociologie, habituellement chevillée aux approches objectives. Nicolas Duvoux s’appuie sur des travaux de jeunesse de Bourdieu pour défendre ce rapport à la subjectivité comme éclairant et améliorant la démarche objectivante de la sociologie. Ce livre propose donc une nouvelle grille de lecture de cette question des inégalités et des clivages sociaux.
 
En effet, ce rapport subjectif au temps permet de retranscrire les différences fondamentales d’expérience de l’existence, de rapport au monde et à l’avenir, selon la classe sociale à laquelle on appartient. De la personne précarisée, prisonnière d’un présent jalonné d’échéances courtes, d’inquiétudes quotidiennes sur le paiement des factures ou les dépenses alimentaires, jusqu’au richissime philanthrope, préoccupé de se projeter dans un avenir, parfois au-delà même de sa propre disparition, où son nom, sa réputation et son empire auront survécu, c’est tout un spectre de rapport au temps immédiat ou à la postérité qui se dessine. La capacité à se projeter dans l’avenir est-elle réservée aux classes supérieures ?
 
C’est la question qu’explore cet ouvrage, le titre faisant évidemment référence à ceux qui sont privés des moyens de se projeter dans l’avenir. « L’avenir confisqué pour certains est accaparé par les autres » écrit Nicolas Duvoux. Le contrôle des moyens financiers offre d’autres possibilités de contrôle : le contrôle politique, le contrôle de son propre temps, et de celui des autres… Et à travers eux la capacité à se projeter dans l’avenir, de façon positive et sereine, quand les classes populaires sont plus pessimistes. Nicolas Duvoux désigne l’optimisme comme « une ressource et un privilège réservé aux riches »[1] un phénomène qui tend à s’amplifier, à mesure que les inégalités se creusent dans la société. Il consacre, dans son livre, tout un chapitre à la question des classes moyennes, graduellement fragilisées, et de plus en plus inquiètes de maintenir la sécurité matérielle relative dont elles jouissent. Cette fragilité se place notamment au niveau de l’accession à la propriété, devenue de plus en plus difficile. Nicolas Duvoux se dit frappé de constater « à quel point les seuils qui permettent d’accéder à une vie relativement stabilisée et à une vision positive de son propre futur et de celui de ses enfants se sont élevés »[2]. La capacité à se projeter dans l’avenir est décrite par l’auteur comme inversement proportionnelle à la sécurité matérielle.
 
Le rapport au temps, c’est aussi un rapport à sa propre finitude ; l’inquiétude de construire une sécurité matérielle et de la transmettre à ses enfants traverse les classes moyennes.
 
Pour les classes supérieures les plus favorisées, il est question d’héritage et de postérité, envisagés dans une perspective dynastique. Le prolongement de soi, de sa vie et de son temps à travers l’image publique et les fondations, entreprises et actions philanthropiques supposent un rapport au temps, à l’avenir et à la pérennisation tout à fait différent. Le livre s’appuie sur des entretiens réalisés avec des personnes issues des franges les plus favorisées, et développe notamment une réflexion sur la question de la philanthropie. Nicolas Duvoux cite le chèque de 10 millions, signé par Bernard Arnault aux Restos du Cœur, comme un symbole de l’augmentation spectaculaire et insoutenable des inégalités. La somme, non négligeable pour les Restos du Cœur, représente un don infime de l’immense fortune de la famille Arnault. Cette philanthropie, encouragée par les défiscalisations mises en place par l’État, est assortie de mesures limitant la taxation des riches, comme la suppression de l’ISF. Nicolas Duvoux interroge philanthropie et politiques publiques, pouvoir monétaire et influence sociale.
 
Le pessimisme des classes populaires et l’inquiétude des classes moyennes devant le risque de leur paupérisation sont aggravés par le sentiment d’urgence de la crise écologique. Nicolas Duvoux considère que là encore, les inégalités dans ce rapport à l’avenir se creusent et s’amplifient avec l’éco-anxiété. Inflation galopante, stagnation des salaires, ascenseur social en panne… Face aux menaces qui pèsent sur ces avenirs incertains, Nicolas Duvoux pointe la responsabilité des pouvoirs publics et la nécessité de renouer avec des politiques plus redistributrices, pour que le sentiment de maîtrise de son temps puisse être davantage partagé.
 
 
[1] Uzbek & Rica – l’Optimisme est un privilège réservé aux riches, interview de Nicolas Duvoux, Pablo Maillé – 5 septembre 2023
[2] Médiapart – Chèque de la famille Arnault aux Restos : « Le risque d’une privatisation des choix collectifs » entretien avec Nicolas Duvoux – 5 septembre 2023

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