Anne Pauly, lauréate du prix du Livre Inter 2020


Anne Pauly est lauréate du prix du Livre Inter 2020 avec son premier roman Avant que j’oublie. Un livre dont l’écriture a germé sur l’expérience du deuil. Elle a également été étudiante au master de création littéraire de Paris 8, une expérience qu’elle décrit comme très formatrice.
 
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Enzo Barbieri - Beat (étudiant de Paris 8)
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(Musique sous licence creative commons - free music archive)

Portraits de Paris 8 - Rencontre avec Anne Pauly



Nous rencontrons Anne Pauly dans un bistrot des Lilas, dans l’éclat de la lumière estivale. Anne apparaît avec un sourire discret et doux, de Madone de Léonard de Vinci en bleu de travail. Elle est chaleureuse, il y a quelque chose de franc et sans ambages dans sa façon d’être.
Anne a travaillé dans divers magazines, comme secrétaire de rédaction ou directrice de publication, et comme correctrice. Elle a même un temps écrit des horoscopes. Elle raconte que l’écriture a toujours été un rêve secret, qu’il était difficile de s’autoriser à cultiver. Après une psychothérapie et l’ouverture du master de création littéraire à Paris 8, en 2013, Anne décide de se donner une chance de satisfaire son ambition d’écrire.
 
Il fallait, pour intégrer le master, arriver avec un projet, et Anne venait de perdre son père : l’écriture s’est axée sur cette épreuve, si commune à la condition humaine et malgré tout si taboue, explique Anne. La formation, et ses enseignants, Olivia Rosenthal, Lionel Ruffel, Christine Montalbetti, entre autres, lui apprennent énormément. Le master de création littéraire de Paris 8 est, selon Anne, une vraie formation solide de technique d’écriture. C’est en maîtrisant la langue que l’on peut exprimer au mieux. Ancienne correctrice, Anne insiste sur l’importante de la justesse, de la précision : l’ambition d’une écriture acérée propre à décliner l’émotion. Sa formation à Paris 8 a affuté sa plume. Elle parle de la question de la légitimité, de la difficulté à s’autoriser à penser que ce que l’on a à dire est important. Un sentiment de légitimité que le master l’a aidée à construire, lui donnant une validation de son talent, et les clefs techniques pour le déployer pleinement. Aujourd’hui ce talent est récompensé, à juste titre, par le public, ce qui revêt, dit-elle, une saveur particulière.
 
Avant que j’oublie décline toutes les subtilités et les complexités de cet amour filial pour ces pères qui accompagnent tant bien que mal notre enfance, et qu’il faut bien, un jour, regarder – et pleurer– avec des yeux d’adultes. La mort, c’est fou, et drôle aussi, dit Anne. De l’incompréhension fondamentale de la disparition à l’acceptation, il y a ce père, ces souvenirs et ces instants qui font le grand écart : le grand corps abîmé de vieillard, ses dimensions colossales et ses fragilités, ses blessures et sa beauté ; la violence conjugale, l’alcoolisme, et la tendresse, ses lectures spirituelles ; Il y a aussi les contrastes émotionnels des enfants : la colère du frère, le désespoir et la culpabilité d’Anne. Dans ce court roman de 138 pages, on a le sentiment de passer de façon parfois chaotique par toutes les émotions du deuil.
 
C’est aussi l’histoire d’un anonyme, enterré dans la minéralité d’un cimetière gris de banlieue, pour lequel Anne revendique un droit à la mémoire.
 
Anne Pauly explique son agacement face aux demandes d’éclaircissements constantes : ce livre est-il un roman, une fiction, une autofiction, une autobiographie ? Quelle est la part d’anecdotes réelles ? Peu importe, dit-elle. A la lecture du livre, on ne peut qu’acquiescer. Tout sonne si juste, résonne si parfaitement, que la question de la véracité devient anecdotique. Le personnage du père, loin d’une gloire élégiaque ou d’un reniement sans appel, est un être complexe et défaillant, que sa fille aime et pleure. Cette tendresse éclaire même les souvenirs douloureux, pourtant racontés sans fard.
 
On pense à Jacques Brel, à cause d’une commune propension à faire poindre l’humour dans le tragique, le sublime dans le sordide. Anne cite, parmi ses nombreuses sources d’inspirations, Annie Ernaux ou Raymond Carver. Elle évoque une nouvelle de ce dernier qui l’a marquée, dans laquelle, pour échapper aux violentes questions posées par un orage entre conjoints, le personnage fixe son attention sur un dessin de calèche sur la nappe, et s’y absorbe jusqu’à l’obsession (Tais toi je t’en prie, de Raymond Carver). On retrouve dans son écriture cette attention portée aux détails, ces objets qui sont autant d’indices et de traces laissées derrière le défunt pour expliquer qui il était. Une montagne de signes, dont la somme peut-être, seulement, peut faire sens. Ces objets qui restent quand la personne n’est plus, auxquels on se raccroche ou qui nous encombrent. Anne Pauly écrit : « Comment renoncer à traquer, dans chaque recoin, pour n’en rater aucun, les fils encore incandescents de son passage ici ? [...] Je ne voyais pas quel soulagement psychique il pourrait bien y avoir, juste après l’avoir perdu lui, à me séparer de tout ce qui avait constitué le décor de sa vie, de la mienne, de la nôtre et à ajouter du désordre à la désolation. » un peu plus loin, un passage très descriptif décortique le contenu de tiroirs : outils, objets du quotidien anodins mais ramifiés de souvenirs, manies qu’on ignorait et qui laissent cruellement entrevoir la solitude et le désespoir de la vieillesse.
 
Chez Anne Pauly, la beauté émerge de détails, de choses modestes mais vraies et justes. Il y a ce passage où la laideur mal déguisée d’une maison sise en marge d’un rond-point, dans une banlieue sinistre de Limoges, et les tentatives malheureuses de son propriétaire de lui redonner un semblant de beauté, lui provoquent une crise d’angoisse : « tous ces efforts pour essayer que les choses aient l’air gaies, toute cette agitation pour maquiller l’abîme, ça me collait un cafard d’enfer. » La laideur, c’est l’artifice. Et le livre d’Anne Pauly est lumineux parce qu’il en semble dénué. Plein de détails, mais sans le moindre artifice. Tout s’épure jusqu’à l’évocation de haïkus issus d’un livre emprunté au défunt, où la beauté réside dans le dénuement, où l’émotion, à la fin, se manifeste dans le hors champ, ce que l’on ne dit pas. « Je pense seulement / à mes parents / crépuscule d’automne. » Du capharnaüm de la maison, où « chacun avait déposé, en strates et en cartons, sans jamais y revenir, ce qui l’encombrait » on coule doucement dans ce dénuement, à mesure qu’Anne parvient à trier les affaires paternelles. L’acuité de son écriture, propre aux inventaires de souvenirs, s’aiguise jusqu’à la légèreté. L’image qui conclue le roman est celle d’un orage, mais là encore, il a en germe l’idée d’un hors champ, d’un ciel clair et lavé après la pluie.
 
Anne Pauly, Avant que j’oublie, éditions Verdier.
 
Crédits musicaux du podcast :
Portland Cello Project - Live in Denmark
Enzo Barbieri - Beat (étudiant de Paris 8)
Chief Boiman - Cello duet
FUB - Owl typewriter
(Musique sous licence creative commons - free music archive)

 © Pierre Andreotti

Plus d’information sur le roman d’Anne Pauly

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